Nous poursuivons notre série d’entrevues mettant en lumière des acteurs et actrices du tourisme québécois qui explorent concrètement le potentiel de l’intelligence artificielle dans leurs activités.
Cette fois, nous rencontrons Pierre Bellerose, figure bien connue du milieu touristique québécois. Consultant en développement touristique et culturel, Pierre a œuvré pendant 30 ans chez Tourisme Montréal, où il a dirigé les dossiers liés à l’innovation, la recherche, l’accueil, les relations publiques et le développement de produits. Cofondateur de l’incubateur MT Lab, il en a été le président du conseil d’administration de 2017 à 2022. Il est également le fondateur et président du Groupe de travail IA et tourisme, une initiative lancée au début de l’année 2024 pour explorer les impacts de l’intelligence artificielle sur notre industrie. Depuis janvier 2021, il accompagne plusieurs organisations dans leur développement des affaires dans les secteurs des attraits touristiques, de la culture et de l’innovation. Il siège également à plusieurs conseils d’administration.
Question 1 – L’introduction à l’IA : Comment en êtes-vous venu à utiliser l’IA dans votre pratique et à l’intégrer dans votre entreprise? Et depuis quand?
C’est en préparant, début 2024, un billet sur les grandes tendances en innovation pour TourismExpress que j’ai eu un déclic. Bien sûr, l’intelligence artificielle figurait déjà parmi les tendances majeures. Mais en creusant le sujet, j’ai été frappé par la vigueur de cette révolution technologique. Ce n’était pas une simple mode : c’était une vague massive qui allait frapper notre industrie.
À ce moment-là, j’ai eu l’intuition qu’il fallait rassembler des forces pour mieux comprendre et anticiper ce qui s’en venait. C’est ainsi qu’est née, en mars 2024, l’idée du Groupe de travail sur l’IA et le tourisme, que j’ai fondé et que je préside aujourd’hui.
En parallèle, presque au même moment – en février 2024 – je faisais mes premières explorations personnelles avec ChatGPT. Et rapidement, l’outil s’est imposé dans mon quotidien professionnel. Plus je l’utilisais, plus je réalisais à quel point il pouvait m’amplifier : pour réfléchir, rédiger, résumer, structurer… Bref, pour aller plus loin, plus vite. Il y a une image que j’utilise souvent pour expliquer mon rapport à l’IA : je suis le cavalier, c’est moi qui donne la direction et pose les questions. L’IA, c’est ma monture, puissante, rapide, mais à guider avec finesse.
Question 2 – Adoption actuelle : Quelles initiatives basées sur l’IA avez-vous testées au sein de votre organisation, et quelles utilisations concrètes en faites-vous aujourd’hui?
Mon usage de l’IA est devenu un réflexe quotidien : j’utilise ChatGPT plusieurs fois par jour, que ce soit pour structurer un texte, résumer un document, effectuer un exercice d’idéation, ou encore générer des contenus adaptés pour le tourisme. J’ai pris le temps d’apprendre à bien formuler mes requêtes, ce qu’on appelle dans le jargon des « prompts ». C’est devenu une compétence en soi : savoir poser la bonne question, au bon moment, dans le bon format. J’exploite à fond les différentes déclinaisons de ChatGPT: l’interface standard bien sûr, mais aussi le mode “recherche approfondie” pour aller chercher de l’information en temps réel, la création d’images qui sont de plus en plus impressionnantes, et les GPT personnalisés que j’ai configurés selon mes besoins (tout cela avec la version payante).
Cela dit, je ne me considère pas comme un expert technique de l’IA. J’ai surtout approfondi une application spécifique: ChatGPT, et je connais encore peu les autres branches de l’IA comme l’analyse de données, les modèles de prédiction ou l’automatisation avancée. C’est une posture que j’assume : je suis un utilisateur très engagé, mais concentré sur ce que je maîtrise et ce qui m’est vraiment utile.
Mon implication au Groupe de travail IA et tourisme m’a permis d’élargir ma compréhension. Nos échanges, nos rencontres, les expérimentations partagées par les autres membres m’ont permis de rester curieux et informé sur tout ce qui bouge dans ce domaine.
Question 3 – Défis rencontrés : Quels sont les principaux obstacles auxquels vous faites face dans l’intégration de l’IA, que ce soit au niveau technologique, organisationnel ou humain?
À mes yeux, le principal défi réside dans le fait de réussir à suivre l’évolution rapide de ces outils et d’en exploiter pleinement la puissance, tout en développant une compréhension de leurs limites. Dans mon cas, utilisant ChatGPT plusieurs fois par jour, je suis constamment fasciné par la richesse des réponses possibles, la capacité à structurer des idées, à générer du contenu ou à accompagner une réflexion stratégique.
Mais cette fascination doit être tempérée par une vigilance constante : les hallucinations, c’est-à-dire des fausses affirmations, inventées ou inexactes présentées avec aplomb, demeurent un phénomène bien réel. Elles peuvent être subtiles ou grossières. Comprendre ce risque, apprendre à détecter les zones grises, à valider les faits, à questionner les sources implicites, devient une compétence essentielle. Il ne suffit plus de “poser une bonne question” (ce qui est déjà un art en soi), il faut désormais aussi savoir lire une réponse avec discernement.
Question 4 – Bonnes pratiques et apprentissages : Pouvez-vous partager une réussite ou un exemple inspirant où l’IA a permis de surmonter un défi ou d’atteindre un objectif significatif.
D’abord, je crois qu’il faut y aller avec curiosité et sans crainte : prendre le temps d’explorer, d’expérimenter, d’essayer différents types de requêtes (prompts), car c’est en pratiquant que l’on apprend. Il ne faut pas viser la perfection d’entrée de jeu, mais plutôt apprendre à converser avec l’outil, à reformuler quand nécessaire. Une autre bonne pratique consiste à varier les usages : que ce soit pour générer des idées, synthétiser un texte ou faire un exercice d’idéation. Il est aussi essentiel de toujours garder un esprit critique, de valider l’information reçue, et de se souvenir que l’outil ne pense pas.
J’invite bien-sûr tous les lecteurs à s’abonner à l’infolettre du Groupe de travail IA et tourisme, elle propose des réflexions, et une veille stratégique adaptée à notre industrie. Et si notre tournée IA passe près de chez vous, venez assister à l’une de nos conférences : ce sont des moments riches pour apprendre, s’inspirer et échanger avec des acteurs engagés dans cette transition technologique.
Question 5 – Vos outils et astuces : Quels sont les outils ou services d’IA dont vous ne pourriez plus vous passer, et pourquoi? Quel est votre meilleur truc, astuce ou raccourci favori pour gagner du temps ou simplifier votre quotidien grâce à l’IA?
Ce qui m’aide le plus, c’est d’avoir développé plusieurs GPT personnalisés (custom GPT), un pour chacun de mes clients ou de mes grands dossiers, qu’ils soient professionnels ou personnels. Chaque GPT est entraîné à connaître le contexte spécifique du mandat, mes priorités, parfois même les documents de référence clés. Cela permet d’économiser un temps précieux, d’assurer une meilleure cohérence dans les réponses, et surtout de travailler avec un assistant qui « sait déjà » où je veux aller.
Les GPT custom sont comme des collaborateurs virtuels spécialisés que l’on façonne à notre image. Pour moi, c’est une des plus grandes révolutions en cours dans notre manière de travailler avec l’IA.
Question 6 – Besoins : Quelle fonctionnalité ou technologie IA rêveriez-vous d’avoir pour simplifier vos opérations?
J’aimerais qu’on avance collectivement sur le volet de l’IA prédictive, c’est-à-dire la capacité de produire des analyses, des scénarios/prédictions ou des solutions concrètes à partir de données locales bien structurées. Mais que l’IA puisse nous aider, il faut d’abord enrichir ce que j’appelle le « lac de données » du Québec touristique, à l’échelle des régions, des secteurs et de l’ensemble du Québec. Cela signifie mieux collecter, partager et structurer les données pertinentes : fréquentation, profils de visiteurs, retombées économiques, données de mobilité, etc.
Avec de bonnes données accessibles, l’éventail des applications possibles devient exponentiel : planification stratégique assistée par IA, recommandations marketing dynamiques, veille prédictive, ou encore optimisation des investissements touristiques. Je sais que certains acteurs y travaillent déjà, et c’est encourageant.
Question 7 – Intégration de l’IA : Si vous pouviez donner un conseil à une organisation qui débute avec l’IA, quel serait-il?
Commencer petit. Choisir une tâche précise et simple : rédiger un courriel, résumer un article, générer une idée de campagne, étayer une idée. Ne pas chercher à tout comprendre d’un coup. Et surtout, se faire accompagner, ne serait-ce que 30 minutes par quelqu’un qui connaît l’outil. C’est souvent suffisant pour transformer l’appréhension en enthousiasme. Après n’arrêtez pas de discuter avec des collègues ou amis qui utilisent déjà l’IA.
Question 8 – Vision pour l’avenir : Selon vous, comment l’IA pourrait-elle transformer l’industrie touristique dans la prochaine année / les prochaines années?
Je crois réellement que l’IA va agir comme un facteur important de changement pour notre industrie. On parle souvent d’optimisation, mais ce sera aussi une question de créativité et de personnalisation. Imaginez un avenir où les tâches répétitives seront automatisées, ce qui nous permettra de libérer du temps et de l’énergie pour ce qui compte vraiment : offrir un service humain et attentionné. L’IA deviendra aussi un outil précieux non seulement pour planifier et comprendre le réel, mais aussi pour anticiper, simuler, projeter les tendances et les besoins à venir.
En somme, une IA qui nous aide à rester compétitifs, sans jamais perdre notre ancrage humain …voilà la voie que je souhaite pour notre industrie touristique.