Nous poursuivons notre série d’entrevues mettant en lumière des acteurs et actrices du tourisme québécois qui explorent concrètement le potentiel de l’intelligence artificielle dans leurs activités.
Cette fois, nous rencontrons Lysandre Michaud-Verreault, membre active du Groupe de travail IA et Tourisme, administratrice du MT Lab et consultante en communication et gestion du changement. Lysandre donne plusieurs conférences et ateliers sur l’IA à travers le Québec et en France. Forte de près de 15 ans d’expérience en communication-marketing, RH et gestion, elle a contribué au rayonnement de multinationales comme BRP et Michelin. Elle a aussi mis en place et dirigé le service des communications de Tourisme Cantons-de-l’Est, où elle a notamment piloté l’adoption de l’IA dans l’organisation et la région.
Question 1 – L’introduction à l’IA : Comment en êtes-vous venu à utiliser l’IA dans votre pratique et à l’intégrer dans votre entreprise? Et depuis quand?
Fondamentalement curieuse, je m’intéresse à l’intelligence artificielle depuis un peu plus de deux ans. Alors en congé de maternité, j’en ai profité — entre deux changements de couches et quelques réveils nocturnes 😉 — pour approfondir mes connaissances et tester différents outils.
J’ai tout de suite perçu un immense potentiel, surtout pour les PME et les OBNL. Il était évident pour moi qu’à mon retour au travail, je devais accompagner l’organisation et nos membres à comprendre et adopter l’IA de manière stratégique.
Et également, parce que je ne pouvais pas me résoudre à être spectatrice 🤷🏼♀️
J’aime prendre part à l’action et faire partie de la solution, concrètement.
En parallèle de mes fonctions de Directrice des communications et de la représentation à Tourisme Cantons-de-l’Est, j’ai donc pris comme mandat d’accélérer l’adoption de l’IA dans l’organisation et dans la région. J’y ai mis à profit mes forces en communication, vulgarisation et gestion du changement… car l’IA, c’est un TRÈS gros changement !
Depuis, et maintenant à mon compte, je donne régulièrement des conférences et ateliers sur l’IA au Québec et en France. Cela m’a permis de rencontrer des centaines d’intervenants passionnés, de faire avancer la discussion et, surtout, de participer concrètement à outiller de nombreux acteurs de l’industrie.
Question 2 – Adoption actuelle : Quelles initiatives basées sur l’IA avez-vous testées au sein de votre organisation, et quelles utilisations concrètes en faites-vous aujourd’hui?
L’IA est devenue pour moi un partenaire de travail : agile, structurant, et profondément utile. Et dont je ne voudrais plus me passer.
Chez Tourisme Cantons-de-l’Est, je me suis donné comme mandat d’accélérer son intégration, autant à l’interne que dans l’écosystème régional. Cela a pris plusieurs formes : réalisation d’un diagnostic stratégique, élaboration d’une feuille de route combinant quick wins et projets structurants, création d’un comité d’usagers motivés, développement d’un cadre d’utilisation responsable, mobilisation des partenaires… et beaucoup de formation, de partage de bonnes pratiques et de vulgarisation.
Sur le plan plus opérationnel, j’ai expérimenté l’IA dans toutes les dimensions de la communication: rédaction, planification, préparation aux entrevues et aux briefings médias, automatisation de certains processus, gestion de projet, analyse d’enjeux et d’opportunités, etc.
Avec le temps et dans le cadre de ma consultation, j’ai resserré mes usages et développé plusieurs assistants IA personnalisés (Custom GPTs) afin d’obtenir un soutien plus efficace, satisfaisant et pertinent. Pour les organisations, tant les destinations que les entreprises, cela peut prendre diverses formes, selon les écarts de performance, leurs besoins et les objectifs :
Un GPT spécialiste de la marque ou de l’entité corporative qui maîtrise la mission, les orientations stratégiques, les normes, les guides de ton, et peut générer des planifications, des conseils ou des contenus hyper appliqués ; un GPT dédié à la rédaction de contenu, ou d’articles de blogue suivant les principes SEO et GEO par exemple; un GPT expert en gestion des médias sociaux (rédaction de publications, calendriers éditoriaux, analyse de performance, réponses aux commentaires, animations, visuels…), etc.
Ces outils permettent aux équipes de travailler avec plus de constance, de rapidité, de confiance — tout en valorisant leur expertise.
J’abuse aussi de la fonction vocale de ChatGPT pendant mes déplacements 😉
Je travaille aussi sur toute la question de la découvrabilité à l’ère de l’IA, un enjeu stratégique majeur. J’ai corédigé le Guide de la découvrabilité avec le Groupe de travail IA et tourisme, accompagné des clients et offert des formations et conférences pour inciter les PME, les associations touristiques et les territoires à revoir leur pratiques numériques, leurs priorités et leurs réflexes marketing.
L’objectif : s’assurer que leur offre soit bien positionnée, comprise et visible dans un environnement numérique désormais dominé par l’IA, où les habitudes des voyageurs — et leur parcours — sont de plus en plus influencés par les agents conversationnels et moteurs intelligents.
Question 3 – Défis rencontrés : Quels sont les principaux obstacles auxquels vous faites face dans l’intégration de l’IA, que ce soit au niveau technologique, organisationnel ou humain?
Le principal défi est organisationnel : l’IA est souvent perçue uniquement comme un outil de productivité ponctuel, ou bien carrément comme une baguette magique qui peut régler tous les problèmes, alors qu’elle devrait être envisagée comme un levier stratégique.
Il y a aussi un enjeu au niveau de la découvrabilité, qui est un peu l’angle mort de l’IA en tourisme: pour continuer à être visibles et recommandés dans un monde dominé par l’IA, les destinations et organisations devront adapter leurs stratégies, optimiser leur contenu, structurer leurs données et repenser leur présence numérique. C’est urgent — et souvent mal compris ou encore trop peu priorisé.
Mais plus profondément, intégrer l’IA, c’est opérer une transformation profondément humaine. Cela exige de créer un climat favorable à l’expérimentation, d’outiller les gestionnaires en ce sens, démystifier les usages et bâtir une culture propice à l’innovation. Et surtout offrir du temps, du budget, du soutien et un cadre clair.
Il y a beaucoup de gestion du changement à faire !
Question 4 – Bonnes pratiques et apprentissages : Pouvez-vous partager une réussite ou un exemple inspirant où l’IA a permis de surmonter un défi ou d’atteindre un objectif significatif.
Il se passe toujours quelque chose d’intéressant quand je présente, en formation ou en conférence, le potentiel des Custom GPTs (assistants personnalisés, équivalents des Gems dans Gemini). À mesure que la démonstration progresse, je vois les regards changer, les réactions fuser.
C’est souvent la première fois que les gens se projettent réellement dans un usage d’IA qui répond à leurs besoins concrets — et qui vient résoudre plusieurs frustrations. Pour plusieurs, c’est ce qui avait freiné leur adoption jusque-là.
Et puis, quand le Custom GPT est implanté dans leur environnement, ils découvrent qu’en quelques clics — sans même avoir à formuler un prompt bien étoffé —, l’assistant les guide naturellement et leur permet d’obtenir un résultat solide, aligné sur leurs besoins et hautement satisfaisant.
Personnellement, ça a complètement révolutionné ma façon de travailler. Dans ma vie personnelle, j’en ai même développé un pour m’accompagner dans les choix et achats majeurs comme la maison, l’école des enfants, les assurances, une nouvelle auto…de l’analyse des besoins, en passant par la recherche et à la comparaison des options, jusqu’à la négociation – qui m’a permis d’obtenir une réduction de 11 % chez le concessionnaire le mois dernier😉.
Question 5 – Vos outils et astuces : Quels sont les outils ou services d’IA dont vous ne pourriez plus vous passer, et pourquoi? Quel est votre meilleur truc, astuce ou raccourci favori pour gagner du temps ou simplifier votre quotidien grâce à l’IA?
Aujourd’hui, je ne pourrais plus me passer de ChatGPT, que j’ai entièrement adapté à mes besoins. J’apprécie notamment :
- Les modèles de raisonnement légers (comme o4-mini) qui répondent à mon désir de consommer la technologie de façon plus responsable, avec des outils moins énergivores.
- La génération de texte et d’image directement intégrée.
- La fonction Canevas, qui m’aide à structurer et bonifier mes textes plus rapidement.
- La fonction Recherche avancée, une vraie révolution pour la recherche ciblée et contextualisée, en temps réel et à partir de sources nombreuses et fiables.
- La création de Custom GPTs et la bibliothèque de GPTs publics, qui est de plus en plus riche.
- Et surtout : la centralisation de mes usages sur une seule plateforme et interface. C’est plus fluide, plus performant, plus économique… et surtout, plus stratégique.
Mon meilleur conseil ? Il va un peu à contre-courant : Maîtriser l’art du prompt n’est plus nécessaire.
Avec des Custom GPTs bien configurés, c’est l’IA elle-même qui vous guide vers les bonnes instructions à lui donner, pose les questions, guide la réflexion- grâce à des amorces de conversation et des déclencheurs automatiques notamment, et s’adaptent à vos réponses.
Un truc : au moins une fois par semaine, je m’oblige à ne pas utiliser mes outils IA préférés pour une tâche ou un projet pour lequel j’aurais naturellement utilisé l’IA, que j’ai déjà automatisé ou que j’ai configuré dans des custom GPT. Pour volontairement vivre cet inconfort qu’on ressent lorsqu’on n’a plus accès à la technologie, comme un défi pour mesurer mes capacités cognitives et fondamentales, continuer d’entrainer mon cerveau, et apprécier davantage la valeur ajoutée!
Question 6 – Besoins : Quelle fonctionnalité ou technologie IA rêveriez-vous d’avoir pour simplifier vos opérations?
Je rêve d’un assistant IA expert en découvrabilité, branché en temps réel sur notre site web, nos plateformes sociales, notre plan marketing, nos projets et tous les documents en cours de création. Une IA latente, qui observe et reçoit ce que l’on produit et met en ligne, capable de détecter nos angles morts en direct — et d’intervenir pour proposer une autre avenue, suggérer une amélioration ou carrément nous alerter quand un contenu, un positionnement ou une initiative manque sa cible.
Et tant qu’à rêver… j’aimerais une IA qui puisse aussi gérer intelligemment mon agenda — personnel, familial et professionnel. Sans avoir à la “programmer”, sans avoir besoin d’un outil tiers comme Motion ou d’automatiser divers flux et outils.
Juste une IA capable de comprendre naturellement mes priorités, mes contraintes, mes rythmes… et d’orchestrer tout ça avec fluidité et …respect de ma charge mentale!
Question 7 – Intégration de l’IA : Si vous pouviez donner un conseil à une organisation qui débute avec l’IA, quel serait-il?
Ne tombez pas dans le piège du “shiny object syndrome” de vouloir tester chaque nouvel outil…
C’est tentant, mais ce n’est pas une stratégie. C’est une distraction.
Et ça épuise plus que ça aide — les individus, les équipes… et les budgets.
Ce que je recommande (et que j’essaie d’appliquer moi-même!), c’est de garder le cap avec une approche structurée et stratégique :
- Commencez par définir vos besoins.
Où sont vos vrais irritants, vos zones de friction, vos écarts de performance ?
Quel enjeu concret cherchez-vous à résoudre ? - Et seulement ensuite : l’IA peut-elle faire partie de la solution ?
- Ancrez votre approche dans votre planification stratégique.
l’IA doit s’inscrire dans vos priorités d’affaires, comme une stratégie pour vous aider à atteindre vos objectifs, vos ambitions… et mieux répondre à votre mission. - Faites moins, mais mieux.
Chaque projet IA — même petit — demande du temps, de la réflexion, de l’énergie. - Et surtout : impliquez vos équipes.
L’IA, ce n’est pas une transformation numérique.
C’est un virage organisationnel.
Et il se prend mieux quand il est compris, partagé et porté à tous les niveaux.
Mais au-delà des outils, cette révolution technologique appelle des leaders visionnaires et des entrepreneures lucides et empathiques.
Des gens capables d’intégrer l’IA avec une intention claire, une vision stratégique, et une conscience de ses impacts.
Car ce n’est pas parce que c’est possible et accessible qu’on doive tout faire.
Nous avons la responsabilité — comme gestionnaires, comme entrepreneurs — de ne pas confondre innovation et agitation.
Question 8 – Vision pour l’avenir : Selon vous, comment l’IA pourrait-elle transformer l’industrie touristique dans la prochaine année / les prochaines années?
C’est assez difficile à prévoir, car l’IA évolue à une vitesse fulgurante — et les possibilités pour notre industrie suivent le même rythme. Qui aurait cru, il y a quelques années, qu’on utiliserait un assistant conversationnel pour générer, en quelques secondes, un plan marketing complet — incluant la stratégie, l’étude de marché, l’analyse des publics cibles, les personas, les messages clés et les déclinaisons multilingues — à partir d’un simple brief d’une ou deux phrases, formulé verbalement ou en langage courant ?
Ce qui est certain, c’est que l’IA deviendra omniprésente, bientôt presque invisible — mais partout.
Elle sera pleinement intégrée aux opérations touristiques, sans qu’on ait à y penser.
Et bien sûr, elle redéfinira nos métiers, nos processus, nos descriptions de poste… souvent bien au-delà de ce qu’on peut imaginer aujourd’hui.
Les modèles d’IA dépassent déjà les capacités humaines dans plusieurs domaines, et automatisent de plus en plus ce que nous considérions comme du « travail humain ».
Ce qui se profile à l’horizon est passionnant, mais aussi un peu vertigineux.
Les défis éthiques et stratégiques seront aussi grands que les opportunités — qui, elles, sont réelles et encourageantes.
Car l’IA n’est pas neutre.
Elle est le reflet des intentions, des biais et des choix de celles et ceux qui la conçoivent.
C’est pourquoi il est essentiel de s’informer, de poser des questions, et de prendre activement part aux discussions publiques et stratégiques qui encadreront son développement.
En tant que femme, je suis convaincue que notre voix est essentielle pour influencer positivement l’avenir de l’IA.
Nous devons être présentes.
Dans les panels.
Dans les comités de direction.
Dans la recherche et le développement des outils, des interfaces, des infrastructures.
Dans l’entrepreneuriat.
Dans les débats publics.
En tant qu’utilisatrices, clientes, développeuses.
Car pour bâtir une IA qui reflète réellement la diversité des expériences humaines, il faut que nos voix — toutes les voix — soient entendues. Haut et fort.