Nous poursuivons notre série d’entrevues mettant en lumière des acteurs du tourisme québécois qui explorent concrètement le potentiel de l’intelligence artificielle dans leurs activités.
Cette fois, nous rencontrons Paul Arseneault, figure clé de l’industrie touristique au Québec. Professeur à l’ESG UQAM, il se spécialise dans le marketing des destinations et l’application des technologies émergentes à l’industrie touristique. Consultant, conférencier et chercheur, Paul dirige des projets stratégiques pour des organisations québécoises et internationales, tout en enseignant à l’ESG UQAM. Passionné d’innovation, il explore au quotidien l’intelligence artificielle pour optimiser l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités. Paul est aussi co-fondateur de l’incubateur MT Lab et membre actif du Groupe de travail IA et tourisme.
Question 1 – L’introduction à l’IA : Comment en êtes-vous venu à utiliser l’IA dans votre pratique et à l’intégrer dans votre entreprise? Et depuis quand?
C’est bizarre comment je suis venu à utiliser l’IA parce qu’il n’y avait pas grand-chose qui me dirigeait spécifiquement vers là, à part mon ami Pierre Bellerose qui avait décidé avec enthousiasme de créer un groupe de travail informel autour de ça. Moi, étant professeur à l’UQAM en sabbatique du 1er juin 2024 au 1er juin 2025, j’ai embarqué sans trop savoir ce que l’IA ferait pour moi. Mais rapidement, en découvrant les outils d’IA générative et leur évolution rapide, j’ai compris qu’il y avait une vraie utilité, surtout pour la production de rapports et de diagnostics. J’ai réalisé très vite qu’il y avait des gains de temps fabuleux, malgré certaines erreurs et hallucinations. À partir du moment où j’ai compris les patterns d’erreurs et que mes prompts sont devenus meilleurs, je me suis retrouvé avec des résultats vraiment intéressants. J’aurais probablement abandonné si je n’avais pas été en sabbatique, mais je me suis accroché parce que je voyais vraiment le potentiel.
Question 2 – Adoption actuelle : Quelles initiatives basées sur l’IA avez-vous testées au sein de votre organisation, et quelles utilisations concrètes en faites-vous aujourd’hui?
Je n’ai pas encore testé officiellement ces solutions au sein de mon organisation, mais depuis début 2025, je réfléchis à comment les trois volets de ma tâche professorale (enseignement, recherche, services à la collectivité) pourraient bénéficier de ces outils. Par exemple, pour les cours, un produit comme Notebook LM permet de créer un environnement interactif où les étudiants peuvent facilement trouver des réponses à leurs questions sans m’envoyer de courriels, ce qui correspond vraiment aux attentes de la nouvelle génération.
Pour les présentations ou documents, j’utilise gamma.app, qui génère des PowerPoint très professionnels en quelques secondes. Combiné à ChatGPT en mode recherche avancée, ça permet de réaliser en 2-3 heures ce qui m’aurait pris une ou deux journées auparavant, tout en me laissant me concentrer sur la valeur ajoutée plutôt que sur la mise en forme. Pour la recherche aussi, c’est formidable pour actualiser les cours, identifier et questionner des articles scientifiques. Pour les services à la collectivité, l’IA est excellente non seulement pour résumer, mais aussi pour vérifier et valider les informations, ce qui améliore nettement la qualité de mes analyses.
Question 3 – Défis rencontrés : Quels sont les principaux obstacles auxquels vous faites face dans l’intégration de l’IA, que ce soit au niveau technologique, organisationnel ou humain?
Premièrement, Personnellement, comme je suis en sabbatique, je n’ai pas vraiment rencontré d’enjeux organisationnels. Mais au niveau institutionnel, à l’UQAM, j’observe que l’approche est plutôt de paramétrer ou limiter les usages de l’IA, sans véritable vision d’ensemble sur comment ces outils pourraient être intégrés dans tous les aspects de la gouvernance et du fonctionnement universitaire.
On aurait intérêt à avoir des licences institutionnelles pour ces outils. Je remarque aussi chez certains collègues une réticence compréhensible à changer leurs méthodes rigoureuses, presque monastiques. Cela dit, mes expérimentations depuis environ huit mois montrent clairement des gains énormes pour toutes les facettes de ma tâche professorale, ce qui dépasse largement mes attentes initiales.
Question 4 – Bonnes pratiques et apprentissages : Pouvez-vous partager une réussite ou un exemple inspirant où l’IA a permis de surmonter un défi ou d’atteindre un objectif significatif.
C’est assez gratifiant de constater comment l’IA peut réduire les tâches répétitives, notamment dans l’accompagnement des mémoires étudiants. Typiquement, en tourisme, les premiers chapitres des mémoires sont très similaires et deviennent vite épuisants à corriger. Maintenant, grâce à l’IA, je peux créer des canevas, des gabarits précis que je partage avec mes étudiants. C’est aussi très pratique pour actualiser mes plans de cours. Plutôt que de refaire chaque année la recherche exhaustive d’articles scientifiques ou professionnels, je demande à l’IA d’identifier des lectures pertinentes et récentes que j’aurais pu manquer. Ce sont des petites victoires, mais elles font une énorme différence.
Question 5 – Vos outils et astuces : Quels sont les outils ou services d’IA dont vous ne pourriez plus vous passer, et pourquoi? Quel est votre meilleur truc, astuce ou raccourci favori pour gagner du temps ou simplifier votre quotidien grâce à l’IA?
Ce qui a été une révélation pour moi, c’est la fonction Deep Research, disponible chez ChatGPT et Gemini. J’ai pris la licence pro de ChatGPT qui coûte environ 300 dollars canadiens par mois, ce qui est cher mais largement rentable. Cela permet de générer très facilement des documents complexes de 40 à 60 pages, d’évaluer et comparer rapidement plusieurs documents entre eux, ce qui serait absolument impossible autrement.
Mon astuce principale, c’est de ne jamais me contenter d’une seule réponse. Je relance toujours l’outil dans une deuxième ou troisième itération pour obtenir plus de précisions. Je m’amuse aussi beaucoup à croiser les résultats entre différents modèles d’IA, ce qui enrichit considérablement l’analyse.
Question 6 – Besoins : Quelle fonctionnalité ou technologie IA rêveriez-vous d’avoir pour simplifier vos opérations?
Avec les outils actuels, honnêtement, j’ai presque tout ce dont j’ai besoin. J’utilise aussi un petit enregistreur numérique IA, plaud.ai, qui produit des verbatims incroyablement précis, capables de comprendre les subtilités du français québécois. Il peut en plus fournir des résumés structurés immédiatement après l’enregistrement. Globalement, je suis déjà très bien équipé avec ce que j’ai actuellement.
Question 7 – Intégration de l’IA : Si vous pouviez donner un conseil à une organisation qui débute avec l’IA, quel serait-il?
Le conseil essentiel, c’est simplement de commencer. On peut facilement ressentir un vertige face à l’IA, parce que c’est très avancé technologiquement, mais en réalité, c’est très simple à utiliser. Il suffit de demander à quelqu’un qui connaît l’outil de s’asseoir à côté de nous et de nous montrer concrètement comment ça fonctionne. Plutôt que de commencer par de grands bilans théoriques, il vaut mieux débuter par une tâche très simple, histoire de se rassurer et de comprendre les bases.
Question 8 – Vision pour l’avenir : Selon vous, comment l’IA pourrait-elle transformer l’industrie touristique dans la prochaine année / les prochaines années?
C’est très difficile à prédire précisément, mais on voit clairement deux grandes tendances émerger. Premièrement, l’arrivée des assistants intelligents capables de créer, réserver et même payer automatiquement des voyages pour les consommateurs.
Deuxièmement, une transformation profonde du marketing touristique, où l’on passera d’une logique de marché et de segments à une logique d’audiences et de canaux très ciblés grâce à l’IA. D’ailleurs, mon département lancera dès septembre 2025 un DESS en marketing numérique et intelligence artificielle pour répondre à ce changement majeur. Je pense que d’ici deux ans, avec l’arrivée probable de ChatGPT-5, on vivra dans un tout autre univers technologique, ce qui est à la fois enthousiasmant et un peu effrayant.